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au service de l’electeur de Saxe.

Dans mon nouveau logement j’ai vecu fort tranquille trois seules semaines. Le comte Stratico arriva à Florence avec le chevalier Morosini son eleve agé alors de dixhuit ans. Je n’ai pu me dispenser de l’aller voir. La jambe qu’il s’etoit cassée n’avoit pas encore regagné sa force, il ne pouvoit pas sortir avec son eleve qui ayant tous les vices de la jeunesse lui fesoit toujours craindre des malheurs. Il me pria de tacher de me l’attacher, et de devenir s’il étoit necessaire le compagnon de ses plaisirs pour ne pas le laisser aller seul où il auroit pu lui arriver mille malheurs trouver compagnie mauvaise ; et dangereuse.

Cela interrompit mes études, et altera mon systeme de paix : j’ai dû par sentiment devenir le compagnon des débauches du jeune homme. C’étoit un effrené qui n’aimoit ni aucune espece de litterature, ni la compagnie noble, ni les gens sensés : monter à cheval pour tuer les chevaux allant à bride abbattue, ne craignant jamais de se tuer lui même, boire toute sortes de vins jamais content que lorsqu’il avoit perdu la raison, et se procurer le plaisir brutal avec des femmes prostituées que souvent il battoit etoient ses uniques seules passions. Il tenoit un valet de louage qui par accord étoit obligé de lui fournir tous les jours quelque fille ou femme qui dans la ville de Florence ne connoissoit pas pour n’auroit pas été connue pour femme publique.

En deux mois qu’il a passés en Toscane je lui ai sauvé vingt fois la vie, je languissois ; mais le sentiment me forçoit à ne pas l’abandonner : pour ce qui regardoit la depense je devois me montrer indifferent, car il vouloit toujours tout payer, et par cette raison nous eumes souvent des fortes disputes, car payant lui même il pretendoit que je dûsse boire au-