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Chapitre VIII

Je prens avec moi un juif d’Ancone nommé Mardoquee. Il me persuade à loger chez lui. Je deviens amoureux de sa fille Lia. Je deviens amoureux d’elle, et après un sejour de six semaines je vais à Trieste.

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Je n’ai examiné le recueil de tous les poètes latins du marquis Mosca Barzi que dans le loisir que j’ai eu à Ancone. Je n’y ai trouvé ni le pPriapées, ni les Fescinins, ni plusieurs autres fragmens des anciens existans en manuscrits dans plusieurs bibliotheques. C’etoit un ouvrage qui indiquoit l’amour que celui qui l’avoit produit avoit pour la litterature, mais qui ne laissoit pas voir la sienne, car il n’y avoit de lui que la peine qu’il s’étoit donné pour placer les œuvres des auteurs selon l’ordre du tems. J’aurois voulu y trouver des notes, et souvent des gloses. Outre cela l’impression ne se distinguoit ni par les beaux caracteres, ni par la richesse des marges, ni par le beau papier, et on y trouvoit trop souvent des fautes d’Ortographe qu’on s’obstine avec raison à ne vouloir pas pardonner. Aussi cet ouvrage n’a-t-il pas fait fortune ; et le marquis n’étant pas riche c’étoit une des raisons de la mesintelligence du menage.

Ce qui me fit connoitre de quelle espece étoit la litterature l’esprit, et le jugement du marquis fut la lecture de son traité sur l’aumone, et encore plus son apologie. J’ai vu que tout ce qu’il disoit dev avoit dit devoit avoir deplu à Rome, et qu’avec un jugement exquis il auroit dû le prevoir. Le marquis Mosca avoit raison, mais en matiere théologique les seuls qui ont raison sont ceux aux quels Rome la fait, et elle ne la fait jamais qu’à ceux dont les sentences sont analogues aux abus qu’elle a fait devenir usages. L’ouvrage du marquis etoit plein de erudition, et plus encore son apologie qui lui auroit fait plus encore de mal que l’ouvrage. Il etoit rigoriste, et malgre qu’il pliat au jansenisme il refutoit souvent S.t Augustin. Il nioit absolument qu’on put escompter moyennant l’aumone la peine fixée aux pechés ; et il n’admettoit