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le bon jour à mon hote. Je le trouve sous le peigne de son second laquais qui lui servoit de valet de chambre. Après lui avoir dit que j’avois bien dormi je lui dis que j’etois allé dejeuner avec lui. Il me repond assez poliment qu’il ne dejeunoit jamais, et de ne pas m’incomoder le matin allant chez lui, car il étoit toujours occupé avec ses païsans qui étoient tous voleurs. Pour votre dejeuner, me dit il, puisque vous dejeunez, je ferai dire au cuisinier de vous faire du caffé quand vous voudrez — Vous aurez aussi la bonté d’ordonner à votre domestique de me donner un coup de peigne après qu’il vous aura servi — Je m’étonne que vous n’ayez pas un domestique à vous — Si j’avois pu deviner que le petit besoin que je peux avoir d’un domestique qui peigne dans un village où il n’y a pas un peruquier, et chez vous, pourroit vous gener, j’en aurois cherché un — Cela ne me genera pas ; mais c’est vous qui souvent pourrez vous impatienter à l’attendre — J’attendrai volontiers. Une chose qui m’est necessaire est une clef à la porte de ma chambre, car j’ai des papiers dont je dois repondre, et que je ne peux pas enfermer dans ma male toutes les fois que j’ai besoin de sortir — Tout est sûr chez moi — Je le suppose ; mais vous sentez qu’il seroit ridicule à moi de pretendre que vous devez dussiez me repondre d’une lettre qui pourroit me manquer ; cela pourroit me desoler, et certainement je ne vous le dirois pas.

Il me ne repond pas ; et apres y avoir pensé cinq à six minutes il dit à son laquais peruquier de dire au pretre de mettre une serure sur la porte de ma chambre, et de m’en donner la clef. En attendant qu’il pensoit j’observe sur sa table de nuit une bougie avec un eteignoir par dessus, et un livre. Je m’approche de l’endroit, lui demandant, comme je le devois, si je pouvois regarder quelle étoit la lecture qui lui concilioit un bon someil : il me repond avec politesse me priant de ne pas toucher à ce livre. Je me retire promptement, et je lui dis en riant que j’étois sûr que c’étoit un livre de prieres ; mais je lui jure de ne comuniquer mon soupçon à personne. Il me repond, en riant aussi, que j’avois deviné. Je le quite le priant de m’envoyer son laquais quand il l’auroit servi, et une tasse de caffé, ou chocolat, ou un bouillon.

Piqué de ce proceder tout à fait nouveau pour moi, et principalement