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marier. Armelline enflammée par la honte, et par la joye paroissoit perdue. Elle ne savoit où trouver des paroles propres à la remercier. Dans le moment de partir elle recomanda à la superieure Armelline, et Emilie, en lui donnant une cedule pour qu’elle fit fasse à ces filles les cadeaux qui petits presens dont elles pouvoient avoir plus de besoin. La duchesse de Fiano lui dit qu’elle me chargeroit aussi d’un petit present qu’elle vouloit aussi faire à ces deux filles.

Le lecteur peut se figurer tout ce que j’ai dit à la princesse d’abord que nous fumes dans la voiture pour lui marquer temoigner mes sentiments. La reconnoissance me l’auroit faite devorer. Ni elle, ni le Cardinal douterent un seul instant de l’esprit d’Armelline, malgrè qu’ayant perdu le courage elle n’avoit pas su briller. Elle ne pouvoit être que telle que l’education l’avoit faite. La princesse étoit impatiente de la voir au théatre avec elle, et à souper dans une auberge comme il y a à Rome la coutume. Elle ecrivit d’abord sur ses tablettes les deu noms de ces deux filles pour leur faire avoir toutes les graces possibles. Je pensois à la maitresse de mon pauvre Marcuccio Menicuccio, mais ce n’étoit pas le tems moment de la recomander : ce fut au Cardinal de Bernis que j’ai confié le lendemain mon empressement pour ce garçon, et il s’interessa si bien après l’avoir vu qu’il la lui fit epouser avant la fin du Carnaval avec une dot de cinq cent ecus, qui joints au cent que je lui ai donné lui fournirent le necessaire pour se meubler, et pour ouvrir une boutique.

Mais mon beau moment fut celui du lendemain de la visite à la grille, où la superieure descendit d’abord pour me remercier. La cedule avoit été de cinquante ecus romains avec les quels elle alloit mettre bien en linge Armelline egalement qu’Emilie. Elles resterent étonnées lorsque je leur ai dit que le gros abbé etoit le Cardinal de Bernis, car elles ne croyoient savoient pas qu’un cardinal pouvoit se permettre de quiter la pourpre. La duchesse de Fiano leur avoit envoyé un tonneau de vin : tant de largesses leur en fesoit es-