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Chapitre III

Le Florentin. Emilie mariée. Scolastique, Armellina au bal.

Si avant de souper avec Armellina j’en étois amoureux au point de me voir forcé à ne plus la voir pour ne pas en devenir fou, après ce souper je me suis vu dans la necessité absolue de l’obtenir pour ne pas en mourir. Ayant vu qu’elle n’avoit consenti aux petites folies aux quelles je l’avois excitee qu’en les prenant comme des badinages indifferens, j’ai pris le parti de pousser ma pointe jusqu’où elle pouvoit aller par ce même chemin. J’ai commence de toute ma force à jouer le role d’indiferent. de toute ma force : je n’y allois que tous les deux jours, je ne la regardoit pas avec de yeux amoureux, je fesois semblant d’oublier de lui baiser la main, j’en fesois autant à Emilie, je lui parlois de son mariage, et je lui disois que si j’étois sûr d’obtenir d’elle quelque faveur j’irois demeurer à Civitavecchia quelques jours après qu’elle auroit fait ses noces. Je feignois de ne pas remarquer que ces propos fesoient de la peine à Armelline., Elle ne m’aimoit pas ; mais elle n’étoit pas en état de souffrir poliement qui ne pouvoit pas souffrir que je prisse du gout pour son amie. Emilie me disoit qu’étant mariée elle se trouveroit moins genée sur l’article de ses devoirs, et Armelline piquée de ce qu’elle osoit me faire esperer des faveurs à sa presence lui disoit que les devoirs d’une femme mariée étoient plus forts que ceux d’une fille. Je la corrigeois en lui insinuant une mauvaise doctrine. Je lui disois que le grand devoir d’une femme n’étoit que celui de rend ne pas risquer de rendre la descendence de son mari equivoque, et que pour le reste ce n’étoit