Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/235

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j’ai deſcendu l’eſcalier avec la plus grande célérité ſuivi par le moine. Sans aller lentement, et ſans courir, j’ai pris le magnifique escalier qu’on appelle des géans, mépriſant la voix, et l’avis du père Balbi, qui ne ceſſoit de me dire, et de me répéter : allons dans l’égliſe, dans l’égliſe. Sa porte étoit à main droite presqu’aux pieds du même escalier.

Les égliſes à Veniſe ne jouiſſent de la moindre immunité pour aſſurer un coupable quelconque, ſoit pour le criminel, ſoit pour le civil ; auſſi n’y a-t-il plus perſonne qui aille s’y retirer pour mettre un obſtacle aux archers, qui auroient ordre de s’en ſaiſir. Le moine ſavoit cela, mais cela n’avoit pas la force d’éloigner de lui cette tentation. Il me dit après, que ce qui le pouſſoit à recourir à l’autel étoit un ſentiment de religion, que je devois reſpecter. Pourquoi, lui dis-je, n’y êtes-vous pas allé tout ſeul ? et il me répondit qu’il n’a pas eu la cruauté de m’abandonner. Je lui ai prouvé que ce qu’il appelloit à cette occaſion là ſentiment de religion n’étoit que lâcheté pure ; et il ne m’a jamais pardonné ce raiſonnement : il eſt vrai que j’aurois pu le lui épargner ; mais le fait eſt, qu’au fond je ne pouvois pas ſouffrir ce mauvais être.