Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/244

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ſe faire donner pain, ſoupe, viande, vin, et eau, et je lui ai donné un Philippe pour qu’il le laiſſe en gage pour les plats, et les couverts. Après m’avoir dit qu’il ne me croyoit pas ſi timide, il eſt allé faire la commiſſion. Ce malheureux étoit plus vigoureux que moi : il n’avoit pas dormi, mais dans la journée précédente, il s’étoit nourri, il avoit pris du chocolat, et la prudence ne tourmentoit pas ſon ame : avec cela il étoit maigre : j’avois l’air d’être dix fois plus fort que lui pour réſiſter aux fatigues ; mais cela n’étoit pas vrai.

Malgré que cette maiſon ne fût pas une auberge, la bonne fermière nous envoya un bon dîner par une payſanne : le moine me dit qu’elle avoit bien regardé le Philippe, et qu’elle l’avoit ſoupçonné faux, et qu’il l’avoit aſſurée que ſon ami le paieroit avec de la monnoie de S. Marc. Mon pauvre ami avoit un peu l’air d’un voleur, et la fermière avoit raiſon. Nous avons fait aſſis ſur l’herbe un excellent repas, qui ne me couta que trente ſous : j’avois alors des dents, qui ne trouvoient jamais la viande trop dure. Lorsque j’ai ſenti le ſomeil qui venoit m’aſſaillir, je me ſuis remis en chemin aſſez bien orienté.