Page:Casanova Histoire de ma fuite 1788.djvu/70

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quillement qu’il n’eut aucun motif de ſoupçonner la fraude. Il n’avoit eu le tems que d’aller dans ſa chambre pour prendre ſon manteau, et il n’avoit dit adieu à ſa belle qu’en paſſant en l’aſſurant qu’il ſeroit de retour le lendemain, ſur quoi elle s’étoit évanouie. Il étoit arrivé à Veniſe en moins de huit heures ; il avoit porté la lettre à ſon adreſſe ; il avoit reçu la réponſe, il étoit allé à l’hôtellerie pour manger, et pour retourner d’abord à Vicence ; mais en ſortant du cabaret les archers l’avoient pris, et l’avoient mis dans leur corps de garde, où ils l’avoient tenu jusqu’au moment qu’ils l’avoient conduit là où il ſe voyoit.

C’étoit un fort-joli garçon ſincère, honnête, et amoureux à outrance : il ne faiſoit que réfléchir au ſort de la jeune comteſſe qu’il plaignoit plus qu’il ne ſe plaignoit : il me demanda en pleurant s’il pouvoit la regarder comme ſa femme, et je l’ai vu déseſpéré, lorsque je lui ai dit qu’elle ne l’étoit pas : il défendit ſa cauſe vis à vis de moi par des raiſons tirées du code de la nature qui lui paroiſſoient ſaintes, et toutpuiſſantes ; et je crois qu’il m’a ſuppoſé un peu fou lorsque je lui ai dit que la nature ne pouvoit mener