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les quatre fils aymon

on sent très bien que l’on a là un artifice de composition, auquel aucun des personnages n’accorde une importance proportionnée à la violence des passions du roi, à l’âpreté qu’il met à poursuivre ceux qu’il appelle ses ennemis. De même la déloyauté du caractère, l’emploi constant qu’il fait des traîtres, l’obligation qu’il imposera au roi de Bordeaux de lui livrer des barons dont ce prince n’a qu’à se louer, dont l’un a épousé sa sœur, tout cela n’a aucun sens si l’on ne se reporte aux temps où le titre de roi n’était que la parure d’un chef de horde, où dans la famille de ce chef plus que dans celle des Atrides, régnaient des haines impitoyables, où le sang était versé sans remords, où le moindre soupçon paraissait autoriser d’abominables supplices, sans aucun respect de l’âge, du sexe et de la parenté ; où trahir et mentir à sa foi, étaient d’usage courant[1].

Les Fils Aymon sont donc une réplique, si l’on veut bien passer un terme emprunté à l’histoire de l’art, des fils de Chilperic, et le Charles qui les persécute, une réplique du vieux mérovingien, aussi astucieux que cruel, de Chilpéric. Le relief de ces types originaux était si puissant que l’usure des siècles n’a pu l’émousser.

Dans ce qui précède, j’ai admis que pour une part le séjour des Fils Aymon dans les Ardennes est mêlé d’éléments tirés de la légende de Charles Martel. L’on retrouve ce grand personnage historique dans les faits qui suivent.

M. Longnon a établi un premier lien entre la Chanson des Fils Aymon et l’histoire en démontrant que le roi Yus, Ys ou Yon du poème est le roi Eudes d’Aquitaine qui lutta alternativement contre Charles Martel et les Sarrasins[2]. Le sou-

  1. C’est vérité banale. Rappelons seulement quelques faits relatifs à Chlodovig : sa maîtresse est empalée ; sa mère, la reine Audovère, est mise à mort ; sa sœur Basine est violée par les hommes de Frédegonde avant d’être envoyée au couvent. Gregor. Turon., V. 40.
  2. La belle étude de M. Longnon sur les Quatre Fils Aymon est dans la Revue des Questions historiques de janvier 1879, p. 173-196. Paulin Paris avait vu, dans les aventures de Renaud, en Gascogne, une sorte de contrefaçon du chant des Ardennes, et il attachait un grand intérêt à cette hypothèse d’un double récit de la même tradition (Histoire littéraire, t. XXII, p. 688-689). M. Longnon, qui a si bien démontré que Charlemagne, dans cette partie méridionale des Fils Aymon, représente