Page:Caumont Les Jeux d esprit.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décrire la plus agréable beauté que l’on puisse concevoir ?

Celle qui fut jadis si fière, si hautaine,
Qui sçût assujétir deux Illustres Romains,
Ne montra point aux yeux humains
Rien qui dût la rendre si vaine
Que la beauté que je dépeins.

« Tout ce que je viens de dire est vrai, et il en faudroit demeurer là pour ravir ceux qui ne m’ont point vue, envoyer ce portrait chez les étrangers, enchanter les nations et faire voler ma gloire dans l’avenir ; mais la vérité trop constante dont je me fais une si austère loi m’oblige à confesser que, bien loin d’être belle, c’est tout si je suis jolie pour ceux qui m’aiment ; qu’on juge de là ce que je dois être pour les indiférents !

« Tout ce que j’ai dit est vrai ; mais tout cela a des suites désagréables. Je n’ai pas le nez beau ; les joues sont élevées ; j’ai la bouche grande, un arrangement de traits dans le visage qui pourroient être plus réguliers. Il est quasi sûr que je déplais à la première vue ; mais avec le temps on s’acoutume à moi. Ce qui fait que je ne reviens pas d’abord, c’est un air froid que j’ai, qui pourroit volontiers se dire glorieux. Je ne cherche point à plaire, parce qu’il arrive peu que les gens nouveaux me plaisent ; bien éloignée en cela de l’ordinaire des dames, je voudrois borner toutes mes connoissances à ce qui m’a sçu plaire :

Le voir, l’aimer, m’en souvenir,
Ne m’ocuper que de lui-même.
De mon àme l’objet que j’aime
Ne sauroit jamais s’en bannir.