Aller au contenu

Page:Caylus - Souvenirs et correspondance.djvu/116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du Dauphin qu’on croira savant et habile, parce qu’il le devoit être ?

On ignorera les détails qui nous ont fait connoître l’humeur de M. de Montausier[1], et qui nous l’ont fait voir plus propre à rebuter un enfant tel que Monseigneur, né doux, paresseux et opiniâtre, qu’à lui inspirer les sentimens qu’il devoit avoir.

La manière rude[2] avec laquelle on le forçoit d’étu-

    cution de ces belles éditions d’auteurs classiques, dites ad usum Delphini, dont le duc de Montausier avait eu l’idée. (Cf. Floquet, Bossuet, précepteur du grand Dauphin.)

  1. Ce personnage austère, simple et franc jusqu’à la rudesse, fut, s’il faut en croire la tradition, l’original du Misanthrope de Molière. Madame de Choisy disait de lui que : « C’étoit un fagot d’ortie qui piquoit de quelque côté qu’on le prît. » Tallemant des Réaux ne l’épargne pas dans ses Historiettes : « C’est un homme tout d’une pièce, écrit-il ; madame de Rambouillet dit qu’il est fou à force d’être sage. Jamais il n’y en eut un qui eût plus besoin de sacrifier aux Grâces. Il crie, il est rude, il rompt en visière, et s’il gronde quelqu’un, il lui remet devant les yeux toutes les iniquités passées. Jamais homme n’a tant servi à me guérir de l’humeur de disputer. » (Cf. Montausier, sa vie et son temps, par Amédée Roux.)
  2. Un curieux document, le Journal de Dubois de Lestournières, valet de chambre du roi, nous fournit des détails précis sur la manière dont le gouverneur s’acquittait de ses fonctions. Nous n’en citerons qu’un seul extrait tout à fait caractéristique « Le mardi 4, au matin, à l’estude, M. de Montausier le battit de quatre ou cinq coups de férulles cruelles au point qu’il estropioit ce cher enfant. L’après-dînée fut encore pire. Point de collation, point de promenade ; et le soir, comme la planète cruelle dominoit toujours l’esprit de M. de Montausier, au prier Dieu, où estoit tout le monde à l’ordinaire, ce précieux enfant disoit l’oraison Dominicale en françois, il manqua ung mot, M. Montausier se jetta dessus luy à coups de poing de toute sa force, je croyois qu’il l’assomeroit. M. de Joyeuse dit seulement : Eh ! monsieur de Montausier ! — Cela fait, il le fit recommencer, et ce cher enfant fit encore la même faute qui n’estoit rien. M. de Montausier se leva, lui prit les deux mains