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Page:Caylus - Souvenirs et correspondance.djvu/139

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tint toujours ses droits avec la même fermeté, et s’attira enfin une disgrâce honorable, que monsieur son mari voulut partager avec elle [1].

  1. Madame de Caylus glisse légèrement sur une aventure peu honorable pour la jeunesse de Louis XIV et dont elle paraît connaître assez mal le détail. Saint-Simon est plus explicite et plus exact sur les causes de la disgrâce de madame de Navailles, dame d’honneur de la reine. « C’étoit, dit-il, une femme d’esprit et qui avoit conservé beaucoup de monde, malgré ses longs séjours en province et autant de vertu que son mari. La reine eut des filles d’honneur, et les filles d’honneur avec leur gouvernante et sous-gouvernante sont dans l’entière dépendance de la dame d’honneur. Le roi étoit jeune et galant. Tant qu’il n’en voulut point à la chambre des filles, madame de Navailles ne s’en mit pas en peine ; mais elle avoit l’œil ouvert sur ce qui la regardoit. Elle s’aperçut que le roi commençoit à s’amuser, et bientôt après elle apprit qu’on avoit secrètement percé une porte dans leur chambre, qui donnoit sur un petit degré par lequel le roi y montait la nuit, et que le jour cette porte étoit cachée par le dossier d’un lit. Elle tint sur cela conseil avec son mari. Ils mirent la vertu et l’honneur d’un côté ; la colère du roi, la disgrâce, le dépouillement, l’exil de l’autre ; ils ne balancèrent pas Madame de Navailles prit si bien son temps, pendant le jeu et le souper de la reine, que la porte fut exactement murée, et qu’il n’y parut pas. La nuit, le roi pensant entrer par ce petit degré fut bien étonné de ne plus trouver de porte. Il tâte, il cherche, il ne comprend pas comment il s’est mépris, et découvre enfin qu’elle est devenue muraille. La colère le saisit, il ne doute point que ce ne soit un trait de madame de Navailles et qu’elle ne l’a pas fait sans la participation du mari. Du dernier, il ne put l’éclaircir que par la connoissance qu’il avait d’eux ; mais pour la porte, il s’en informa si bien qu’il sut positivement que c’étoit madame de Navailles qui l’avait fait murer. Aussitôt il leur envoie demander la démission de toutes leurs charges. » Leur disgrâce fut assez courte, mais madame de Navailles ne reparut presque plus à la cour. « Le roi se souvenait toujours de sa porte, et madame de Maintenon du foin et de l’avoine de madame de Neuillan ; les années ni la dévotion n’avaient pu en amortir l’amertume. » (Madame de Navailles était la fille de madame de Neuillant. Cf. p. 7.)