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MÉMOIRES DE BENVENUTO CELLINI

tous les jours. Le brave orfèvre Raffaello, voyant l’intimité qui existait entre moi et messer Giovanni Gaddi, lui dit : — « Messer Giovanni mio, vous me connaissez : je voudrais donner ma fille à Benvenuto. Comme personne plus que votre seigneurie n’est capable de bien mener cette affaire, veuillez me prêter votre aide, et fixer vous-même la dot que je puis donner. » — Cet écervelé de messer Giovanni laissa à peine au digne Raffaello le temps de parler, et il lui répondit, sans aucun motif plausible : — « Ne songez plus à cela, Raffaello, car vous en êtes plus éloigné que janvier ne l’est de l’été. » — Le pauvre homme, désolé, chercha aussitôt un autre mari à sa fille. La mère et tous les parents me faisaient la mine, et j’en ignorais la cause. Voyant qu’ils payaient en mauvaise monnaie les services que je leur avais rendus, j’essayai d’ouvrir une boutique dans leur voisinage. Messer Giovanni ne m’instruisit de ce qui s’était passé que plusieurs mois après, lorsque la fille de Raffaello fut mariée.

Je travaillais activement à terminer mon grand ouvrage et à servir la monnaie ; car le pape m’avait encore commandé une pièce de la valeur de deux carlins, représentant, d’un côté, la tête de Sa Sainteté, et, de l’autre, le Christ sur la mer, tendant la main à saint Pierre. Cette pièce avait pour légende : Quare dubitasti[1] ? Elle obtint tant de succès, qu’un secrétaire de Sa Sainteté, homme de grande distinction, nommé Sanga, dit au pape : — « Votre Sainteté peut se vanter d’avoir une monnaie telle que les anciens, malgré leur magnificence, ne sauraient offrir la pareille. » — « Benvenuto, répondit le pape, peut aussi se vanter de servir un souverain comme moi, qui connais son mérite. » — Mon grand ouvrage d’or ne cessait pas d’avancer. Souvent je le montrais au pape, qui

  1. Cellini parle de cette pièce dans le chapitre VII de son Traité d’Orfèvrerie. Elle a été publiée par Fioravanti.