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contes japonais

Le jeune daïmio fronça le sourcil.

La missive était de son intendant, homme grave, réfrigérant par métier autant que par goût ; elle devait contenir, comme toujours, une semonce et de désagréables réflexions, en réponse à un pressant appel de fonds.

— Ouvrons, se dit Yori ; puisque je suis dans un mauvais jour, il faut épuiser la coupe de fiel aujourd’hui.

« Yori, fils d’Irakkô, disait le digne intendant, tu as voulu jouir trop grandement de la fortune paternelle ; l’or est fait pour fructifier dans des mains prévoyantes, et non pour rouler sur la pente des chemins ; qui sème le sel ne récolte pas le riz…

— C’est bon, c’est bon, vieux fou ! murmura Yori avec impatience, nous connaissons cela. Que me veut-il ?

Et, passant aussitôt à la fin, il lut avec stupéfaction.

« C’est pourquoi, ayant vendu, suivant tes ordres, ta propriété d’Osaka, ta dernière, Yori, et t’en ayant envoyé l’argent, nous sommes arrivés au bout ; tu es dans la misère, et moi, ton intendant, sur la paille ».

Yori eut un éblouissement : il relut à plusieurs reprises ce paragraphe final ; comment ? le dernier de plus de trente domaines légués par son père ?

C’était impossible !

Le jeune homme cherchait, dans sa tête fatiguée, à rassembler ses souvenirs, à établir rapidement un compte sommaire de tout ce qu’il avait vendu depuis si peu de temps.

Oui, ce devait être vrai. Cette terre-ci, et encore celle-là et Osaka, la plus belle de toutes ; puis, quand il eut bien compris qu’il était ruiné, il se sentit tout à fait dégrisé. Ses tempes battirent avec force, et la sueur perla sur son front ; les fortes émotions se traduisent différemment suivant les tempéraments ; les uns ont chaud, les autres ont froid.

Donc Yori avait très chaud. La nuit, d’ailleurs, était redevenue