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le joueur de flûte.

qui avaient résisté jusque là à la terrible influence des éléments déchaînés. Yasumasu, appelé par les cris de détresse de tout son peuple, sortit de son palais et parcourut son petit royaume ; partout le plus désolant spectacle s’offrit à ses yeux. Rien n’avait été sauvé de ce qui se mange, de ce qui se boit, de ce qui sert à l’habillement ; les bestiaux eux-mêmes, ne trouvant plus à se nourrir, étaient morts sur les collines où on les avait parqués, et de ces corps amoncelés s’élevaient des influences pestilentielles. Yasumasu, du haut d’une éminence, regardait cette mer de boue et de limon fendillé par le froid, étendue maintenant sur ces cultures riantes et pleines de vie qu’il était habitué de voir depuis son enfance ; et le bon roi, saisi de pitié, ne put s’empêcher de pleurer.

— Que donner à ce peuple entier pour soulager sa misère ? Rien que de la terre, partout, et rien pour semer, rien pour attendre les prochaines récoltes !

Et il ajouta, levant les bras au ciel avec désespoir :

— On ne vit pas de terre !

— Si, puissant seigneur, dit une voix grave auprès de lui, on peut vivre de la terre seule. Je connais des peuples riches, des peuples entiers, comme celui-ci, qui ne font rien autre chose, toute l’année, que travailler la terre sans y rien semer.

Yasumasu regarda le parleur énigmatique. C’était un vieux sorcier érudit, renommé pour sa sagesse et ses connaissances. Le prince s’inclina avec respect devant ce représentant de la science interdite au vulgaire, et lui dit :

— Tu vois, Sennin, le malheur de ce pays ; tu entends les clameurs de cette multitude ; elle a faim, et je ne puis lui donner une poignée de riz ; s’il est en ton pouvoir de soulager tant de maux, parle ; je sacrifierais volontiers ma vie pour réparer ce désastre de mon peuple.

— Ce n’est peut-être pas moins que tu risqueras, répliqua le vieillard.