Page:Cerfberr - Contes japonais, 1893.pdf/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
35
le joueur de flûte.

Comment entrer sans être vu dans ce pays si soigneusement fermé aux étrangers ? Comment, étant donné même qu’il y arrivât, comment interroger les ouvriers sans attirer l’attention, ou bien parvenir à voir la fabrication mystérieuse d’assez près et assez longtemps pour en comprendre tous les procédés ?

Le prince réfléchit longuement sans trouver une solution pratique. Mais, comme le temps pressait, il s’en remit au hasard et aux Sichi-fuku-djin, les sept dieux du bonheur, seuls capables de lui venir en aide en aussi critiques circonstances. Puis il fit venir son cheval Taïfu, rapide comme l’ouragan dont il a reçu le nom, et secrètement il se dirigea vers le Nord.

Il lui fallut de longs jours de marche et plusieurs traversées périlleuses avant d’atteindre la terre coréenne, montagneuse, froide et triste. Mais dans le petit port où il arriva enfin, en touchant le continent, on embarquait de grands paniers remplis de porcelaines et de faïences aux vives couleurs, et, s’approchant des marchands, il n’eut pas de peine à savoir où se fabriquaient de si belles choses.

Comme il paraissait prendre un très vif intérêt aux renseignements qu’on lui donnait, l’un des marchands lui dit, d’un air soupçonneux :

— N’aurais-tu pas conçu le projet de visiter ce pays, et de surprendre les secrets de ses ouvriers ? Si vraiment tu as cette folie, rembarque-toi au plus vite, imprudent, ou sinon tu ne tarderas pas à rejoindre ceux qui t’ont précédé ici, et que la colère du génie gardien de ces trésors n’a pas épargnés !

— Moi ! protesta le prince, en feignant la surprise, je m’occupe bien, en vérité, de cette misérable faïence, et de ceux qui la font ! Je joue de la flûte pour moi-même, pour ceux qui veulent m’écouter si tel est leur plaisir, et pour la lune, quand je n’ai pas d’auditeurs. C’est un art divin, et ceux qui le cultivent n’ont pas de préoccupations matérielles.

Prenant son fidèle instrument de bambou, qui ne l’avait pas