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contes japonais.

de côté en prévision de l’avenir, Hanko le riche, le kanémotchi, comme on l’appelait, fut malheureux.

Vieilli, repu, blasé même sur la fortune dont il ne connaissait plus le prix, maintenant qu’il était certain de la conserver, il se prit à regretter amèrement le bonheur que ses filles devaient répandre autour de lui, sans ses marchés successifs. La douce Shiya, l’insouciante et gaie Gamawuki, et Yabura encore, Yabura qu’il aimait tant, qu’il eût pu retenir sans son insatiable avidité, où étaient-elles maintenant, que pensaient-elles de leur vieux père, unies à ces monstres épouvantables, au fond de la forêt maudite d’Homokusaï ? Et souvent il cherchait sous sa main une douce main, souvent il lui semblait entendre à côté de lui un rire folâtre, ou bien encore, lorsqu’il rentrait après une nuit d’orgie, ivre de saki, ne connaissant plus un chien d’une cigogne, il s’attendait aux reproches impérieux de Yabura… Mais rien !… Et ses yeux s’emplissaient de larmes, et sa voix tremblait, et pour oublier, il buvait encore du saki…

Son secret lui pesait ; il eût voulu avouer son infamie, dût-il toujours en souffrir ; du moins il n’eût pas été seul devant ce souvenir fatal. Mais la honte de lui-même, la crainte de l’opprobre de tous le retenaient.

Un jour pourtant il laissa échapper quelques paroles équivoques devant son fils. Celui-ci s’écria :

— Que dites-vous, mon père ? Mes sœurs Shiya et Gamawuki seraient vivantes ? Vous connaissez leur retraite ?

Alors, comme poussé par une force irrésistible, Hanko parla. Il dit à son fils sa détresse première, mais en omettant d’en avouer les causes, le vieux scélérat ! Il dit ses angoisses paternelles en voyant ses filles vieillir sans époux auprès de lui, ses courses aventureuses dans la forêt enchantée d’Homokusaï, ses marchés forcés d’abord, volontaires ensuite. Mais ne valait-il pas mieux tenter le sort, courir peut-être au-devant de la mort, plutôt que de vivre sans