Page:Cervantes-Viardot-Rinconète et Cortadillo.djvu/18

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coutume, obéissons à celle de celui-ci. Puisque c’est le premier pays du monde, la coutume en sera la plus sage. Ainsi votre grâce peut nous conduire auprès de ce gentilhomme dont il est question. Je me figure déjà, d’après ce que j’ai ouï dire, qu’il est fort considéré, fort généreux, et de plus fort habile dans le métier. — Comment donc ! s’écria le portefaix, s’il est considéré, habile et propre à l’emploi ! C’est au point que, depuis quatre ans qu’il est chargé d’être notre supérieur et notre père, il n’y a que quatre de nous qui aient souffert au finibus terrœ, une trentaine à la main chaude, et soixante-deux aux gurapes[1]. — En vérité, seigneur, interrompit Rincon, nous entendons ces mots comme le grec. — Commençons par marcher, reprit le portefaix ; en chemin, je vous les expliquerai, ainsi que plusieurs autres dont la connaissance vous est aussi nécessaire que le pain à la bouche. » En effet, il leur dit et leur expliqua successivement d’autres noms et paroles de ce qu’ils appellent l’argot[2], pendant le cours de leur entretien, qui ne fut pas bref, car le chemin était long.

Pendant le trajet, Rincon dit à leur guide : « Êtes-vous, par hasard, voleur ? — Oui, répondit l’autre, pour servir Dieu et les honnêtes gens, bien que je ne compte point parmi les plus versés dans la pratique, car je suis encore dans l’année du noviciat. — C’est pour moi une chose nouvelle, reprit Cortado, qu’il y ait des voleurs au monde pour servir Dieu et les honnêtes gens. — Quant à moi, répondit le portefaix, je

  1. C’est-à-dire à la potence, au fouet et aux galères.
  2. La germania ou gerigonza.