Page:Cervantes-Viardot-Rinconète et Cortadillo.djvu/3

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L’un portait sur le dos, et rattachée devant la poitrine, une chemise couleur de peau de chamois, toute roulée dans une manche ; l’autre avait les épaules libres et sans bissac ; mais on lui voyait sur l’estomac un énorme paquet que l’on sut depuis être un collet, de ceux qu’on appelle wallonnes empesées, lequel était empesé de graisse, et si effilé par les déchirures qu’il semblait un paquet de charpie. Dans ce collet était roulé et précieusement conservé un jeu de cartes de figure ovale, car, à force de servir, leurs coins s’étaient usés, et, pour les faire durer davantage, on les avait écorniflées et mises en cet état. Tous deux étaient brûlés du soleil, avec les ongles bordés de noir, et les mains peu nettes. L’un avait au côté un demi-estoc, l’autre tenait un couteau à manche de bois jaune, de ceux qu’on appelle couteaux de vachers.

Ces deux gaillards vinrent passer la sieste sous le porche ou auvent qu’il y a d’habitude à l’entrée d’une hôtellerie, et s’étant assis en face l’un de l’autre, celui qui semblait le plus âgé dit au plus jeune : « De quelle terre[1] est votre grâce, seigneur gentilhomme, et de quel côté portez-vous vos pas ? — Ma terre, seigneur chevalier, répondit l’interrogé, je ne la connais point, ni pas davantage en quel lieu je me dirige. — Eh bien ! par ma foi, reprit l’aîné, votre grâce ne me semble pas venir du ciel, et comme cet endroit-ci n’est pas fait pour qu’on s’y fixe, il faut à toute force que vous alliez ailleurs. — Cela est vrai, répliqua le cadet, et pourtant j’ai dit la vérité en tout ce que j’ai

  1. Expression espagnole, pour dire de quel pays.