Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/401

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dans les rues une grande récompense pour qui me trouverait, donnant le signalement de mon âge, de ma taille, des habits dont j’étais vêtue. J’entendis également rapporter, comme un ouï-dire, que le valet qui m’accompagnait m’avait enlevée de la maison paternelle. Ce nouveau coup m’alla jusqu’à l’âme ; je vis avec désespoir à quel degré de flétrissure était tombée ma réputation, puisqu’il ne suffisait pas que je l’eusse perdue par ma fuite, et qu’on me donnait pour complice un être si vil et si indigne de fixer mes pensées. Aussitôt que j’entendis publier ce ban, je quittai la ville, suivie de mon domestique, qui commençait à montrer quelque hésitation dans la fidélité à toute épreuve qu’il m’avait promise. La même nuit, dans la crainte d’être découverts, nous pénétrâmes jusqu’au plus profond de ces montagnes ; mais, comme on dit, un malheur en appelle un autre, et la fin d’une infortune est d’ordinaire le commencement d’une plus grande. C’est ce qui m’arriva : car dès que mon bon serviteur, jusque-là si sûr et si fidèle, se vit seul avec moi dans ce désert, poussé de sa perversité plutôt que de mes attraits, il voulut saisir l’occasion que semblait lui offrir notre solitude absolue. Sans respect pour moi et sans crainte de Dieu, il osa me tenir d’insolents discours ; et, voyant avec quel juste mépris je repoussais ses impudentes propositions, il cessa les prières dont il avait d’abord essayé, et se mit en devoir d’employer la