Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/562

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pérance d’y recouvrer le trône à Muley-Hamida, le More le plus cruel et le plus vaillant qu’ait vu le monde[1]. Le grand-turc sentit vivement cette perte, et, avec la sagacité naturelle à tous les gens de sa famille, il demanda la paix aux Vénitiens, qui la désiraient plus que lui. L’année suivante, 1574, il attaqua la Goulette et le Fort que Don Juan avait élevés auprès de Tunis, les laissant à demi construits[2]. Pendant tous ces événements de la guerre, je restais attaché à la rame sans nul espoir de recouvrer la liberté, du moins par rançon, car j’étais bien résolu de ne pas écrire à mon père la nouvelle de mes malheurs. Enfin, la Goulette fut prise, puis le Fort. On compta, à l’attaque de ces deux places, jusqu’à 65,000 soldats turcs payés, et plus de 400,000 Mores et Arabes, venus de toute l’Afrique. Cette foule innombrable de combattants traînaient tant de munitions et de matériel de guerre, ils étaient suivis de tant de

    rent en pièces à coups de dents. » Geronimo Torrès de Aguilera, qui se trouva, comme Cervantès et comme Arroyo, à la bataille de Lépante, dit que : « la galère d’Hamet-Bey fut conduite à Naples, et qu’en mémoire de cet événement, on la nomma la Prise. » (Cronica de varios Sucesos.) Le P. Haedo ajoute que ce More impitoyable fouettait les captifs chrétiens de sa chiourme avec un bras qu’il avait coupé à l’un d’eux. (Historia de Argel, fol. 123.)

  1. Muley-Hamida et Muley-Hamet étaient fils de Muley Hassan, roi de Tunis. Hamida dépouilla son père du trône, et le fit aveugler en lui brûlant les yeux avec un bassin de cuivre ardent. Hamet, fuyant la cruauté de son frère, se réfugia à Palerme, en Sicile. Uchali et les Turcs chassèrent de Tunis Hamida, qui se fortifia dans la Goulette. Don Juan d’Autriche, à son tour, chassa les Turcs de Tunis, rappela Hamet de Palerme, le fit gouverneur de ce royaume, et remit le cruel Hamida entre les mains de Don Carlos de Aragon, duc de Sesa, vice-roi de Sicile. Hamida fut conduit à Naples, où l’un de ses fils se convertit au christianisme. Il eut pour parrain Don Juan d’Autriche lui-même, et pour marraine Doña Violante de Moscoso, qui lui donnèrent le nom de Don Carlos d’Autriche. Hamida en mourut de chagrin. (Torrès de Aguilera, pag. 105 y sig. Bibliot. real., cod. 45, f. 531 y 558.)
  2. Don Juan d’Autriche fit élever ce fort, capable de contenir 8,000 soldats, hors des murs de la ville, et près de l’île de l’Estaño, dont il dominait le canal. Il en donna le commandement à Gabrio Cervellon, célèbre ingénieur, qui l’avait construit. Ce fort fut élevé contre les ordres formels de Philippe II, qui avait ordonné la démolition de Tunis. Mais Don Juan d’Autriche, abusé par les flatteries de ses secrétaires Juan de Soto et Juan de Escovedo, eut l’idée de se faire couronner roi de Tunis, et s’obstina à conserver cette ville. Ce fut sans doute une des causes de la mort d’Escovedo, qu’Antonio Perez, le ministre de Philippe II, fit périr par ordre supérieur, comme il le confessa depuis dans la torture, et sans doute aussi de la disgrâce d’Antonio Perez, que ses ennemis accablèrent à la fin. (Torrès de Aguilera, f. 107. Don Lorenzo Van-der-Hemmen, dans son livre intitulé Don Felipe el Prudente, f. 98 et 152.)