Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/60

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sentences et les maximes que vous placerez dans votre histoire[1], vous n’avez qu’à vous arranger de façon qu’il y vienne à propos quelque dicton latin, de ceux que vous saurez par cœur, ou qui ne vous coûteront pas grande peine à trouver. Par exemple, en parlant de liberté et d’esclavage, vous pourriez mettre :


Non bene pro toto libertas venditur auro,



et citer en marge Horace, ou celui qui l’a dit[2]. S’il est question du pouvoir de la mort, vous recourrez aussitôt au distique :


Pallida mors æquo pulsat pede
Pauperum tabernas regumque turres.



S’il s’agit de l’affection et de l’amour que Dieu commande d’avoir pour son ennemi, entrez aussitôt dans la divine Écriture, et citez au moins les paroles de Dieu même : Ego autem dico vobis : diligite inimicos vestros ; si de mauvaises pensées, invoquez l’Évangile : De corde exeunt cogitationes malæ ; si de l’instabilité des amis, voilà Caton[3] qui vous prêtera son distique :


Donec eris felix multos numerabis amicos ;
Tempora si fuerint nubila, solus eris.



Avec ces bouts de latin, et quelques autres de même étoffe, on vous tiendra du moins pour grammairien, ce qui, à l’heure qu’il est, n’est pas d’un petit honneur, ni d’un mince profit.

» Pour ce qui est de mettre des notes et commentaires à la fin du livre, vous pouvez en toute sûreté le faire de cette façon : si vous avez à nommer quelque géant dans votre livre, faites en sorte que ce soit le géant Goliath, et vous avez, sans qu’il vous en coûte rien, une longue annotation toute prête ; car vous pourrez dire : Le géant Golias, ou Goliath, fut un Philistin que le berger David tua d’un coup de fronde dans la vallée de Térébinthe, ainsi qu’il est conté dans le Livre des Rois, au chapitre où vous en trouverez

  1. C’est ce qu’avait fait Lope de Vega dans son poëme el Isidro.
  2. En effet, ce n’est point Horace, mais l’auteur anonyme des fables appelées Esopiques. (Canis et Lupus, lib. III, fabula 14.)
  3. Ces vers ne se trouvent point parmi ceux qu’on appelle Distiques de Caton ; ils sont d’Ovide. (Tristes, elegia 6.)