Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/666

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joyeuses, d’aussi incomparables promesses. Qu’il en soit ainsi, et je tiendrai pour célestes jouissances les peines de ma prison, pour soulagement les chaînes qui m’enveloppent, et ce lit de planches sur lequel on m’étend, loin de me sembler un dur champ de bataille, sera pour moi la plus douce et la plus heureuse couche nuptiale. Quant à la consolation que doit m’offrir la compagnie de Sancho Panza, mon écuyer, j’ai trop confiance en sa droiture et en sa bonté pour craindre qu’il m’abandonne en la bonne ou en la mauvaise fortune ; car, s’il arrivait, par la faute de son étoile ou de la mienne, que je ne pusse lui donner cette île tant promise, ou autre chose équivalente, ses gages, du moins, ne seront pas perdus, puisque, dans mon testament, qui est déjà fait, j’ai déclaré par écrit ce qu’on doit lui donner, non suivant ses nombreux et loyaux services, mais suivant mes faibles moyens. » À ces mots, Sancho Panza lui fit une révérence fort courtoise, et lui baisa les deux mains, car lui en baiser une n’était pas possible, puisqu’elles étaient attachées ensemble. Ensuite les fantômes prirent la cage sur leurs épaules, et la chargèrent sur la charrette à bœufs[1].

  1. La comédie que composa Don Guillen de Castro, l’auteur original du Cid, sur les aventures de Don Quichotte, et qui parut entre la première et la seconde partie du roman de Cervantès, se termine par cet enchantement et cette prophétie. Dans sa comédie, Guillen de Castro introduisait les principaux épisodes du roman, mais avec une légère altération. Don Fernand était fils aîné du duc, et Cardénio un simple paysan ; puis, à la fin, on découvrait qu’ils avaient été changés en nourrice, ce qui rendait le dénoûment plus vraisemblable, car Don Fernand, devenu paysan, épousait la paysanne Dorothée, et la grande dame Luscinde épousait Cardénio, devenu grand seigneur.