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de ses ouvrages, entre autres dans la seconde partie du Don Quichotte et dans deux de ses meilleures nouvelles, le Licencié Vidriera et la Tante supposée (la Tia fingida). Un peu plus tard, on trouve Cervantès à l’école d’un humaniste assez distingué, nommé Juan Lopez de Hoyos. Ce régent de collége fut chargé, par la municipalité de Madrid, de composer les allégories et les devises qui devaient orner, dans l’église de las Descalzas Reales, le mausolée de la reine Élisabeth de Valois, lors des magnifiques funérailles qu’on lui fit le 24 octobre 1568. Hoyos se fit aider par quelques-uns de ses meilleurs élèves, et Cervantès est cité au premier rang. Dans la Relation. que publia cet humaniste, et où sont racontées en détail la maladie, la mort et les obsèques de la reine, il mentionne comme ouvrage de Cervantès, qu’il appelle à plusieurs reprises son cher et bien-aimé disciple, la première épitaphe, en forme de sonnet, quatre redondillas (quatrains), une copla castellana (stance à rimes croisées), enfin une élégie en tercets, composée au nom de toute la classe, et adressée au cardinal Don Diego de Espinosa, président du conseil de Castille et inquisiteur général.

Ces premiers essais furent applaudis, et ce fut sans doute à la même époque que Cervantès, encouragé par son succès d’école, composa le petit poëme pastoral de Filena, quelques sonnets, quelques romances, enfin des rimas ou poésies mêlées, œuvres dont il fit mention, vers la fin de sa vie, dans son Voyage au Parnasse (Viage al Parnaso), mais dont il n’est resté que ce souvenir.

C’était alors que venait de se passer, dans le palais de Philippe II, ce drame mystérieux et sanglant dont le double dénoûment fut la mort de l’infant Don Carlos et celle de la reine Élisabeth, qui ne lui survécut que deux mois. Le pape Pie V envoya aussitôt un nonce à Madrid, pour offrir au roi d’Espagne ses compliments de condoléance (el pesame) et réclamer aussi, à la faveur de cette ambassade d’étiquette, certains droits de l’église refusés par Philippe dans ses domaines d’Italie. Ce nonce était un prélat romain, nommé Giulio Acquaviva, fils du duc d’Atri, qui reçut le chapeau de cardinal à son retour d’Espagne. Sa mission ne pouvait plaire à Philippe, qui avait impérieusement ordonné que personne, princes ou sujets, ne lui parlât de la mort de son fils, et qui, tout dévot qu’il fut, ne céda jamais sur aucun point à la cour de Rome. Aussi le légat du pape ne fit-il qu’un court séjour à Madrid. Il reçut ses passe-ports le 2 décembre 1568, deux mois après son arrivée, avec ordre de retourner immédiatement en Italie, par la route de Valence et de Barcelone. Comme Cervantès assure lui-même qu’il servit à Rome le cardinal Acquaviva, en qualité de camarero (valet de chambre), il est probable que le nonce romain, auquel le jeune Miguel put être présenté parmi les poëtes du catafalque de la reine, le prit en affection, et que, touché de sa détresse non moins que de ses talents naissants, il consentit à l’admettre dans ce qu’on appelait alors