Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1836, tome 1.djvu/90

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ces propos, et mal lui en prit, car il se fût épargné celle de sa santé ; au contraire, empoignant les courroies, il jeta le paquet loin de lui ; ce que voyant, Don Quichotte tourna les yeux au ciel, et, élevant son âme, à ce qu’il parut, à sa souveraine Dulcinée, il s’écria : « Secourez-moi, ma dame, en cette première offense qu’essuie ce cœur, votre vassal ; que votre aide et faveur ne me manquent point dans ce premier péril. » Et, tandis qu’il tenait ces propos et d’autres semblables, jetant sa rondache, il leva sa lance à deux mains, et en déchargea un si furieux coup sur la tête du muletier, qu’il le renversa par terre, en si piteux état qu’un second coup lui eût ôté tout besoin d’appeler un chirurgien. Cela fait, il ramassa ses armes, et se remit à marcher de long en large avec autant de calme qu’auparavant.

Peu de temps après, et sans savoir ce qui s’était passé, car le muletier gisait encore sans connaissance, un de ses camarades s’approcha dans la même intention d’abreuver ses mules. Mais, au moment où il enlevait les armes, pour débarrasser l’auge, voilà que, sans dire mot et sans demander faveur à personne, Don Quichotte jette de nouveau son écu, lève de nouveau sa lance, et, sans la mettre en pièces, en fait plus de trois de la tête du second muletier, car il la lui fend en quatre. Tous les gens de la maison