Aller au contenu

Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1837, tome 2.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que l’auteur se soit égaré quelque peu du droit chemin en comparant l’amitié de ces animaux à celle des hommes, car les hommes ont reçu des bêtes bien des avertissements, et en ont appris bien des choses d’importance : par exemple, ils ont appris des cigognes le clystère, des chiens le vomissement et la gratitude, des grues la vigilance, des fourmis la prévoyance, des éléphants la pudeur, et du cheval la loyauté[1].

Finalement, Sancho se laissa tomber endormi au pied d’un liége, et Don Quichotte s’étendit sous un robuste chêne. Il y avait peu de temps encore qu’il sommeillait, quand il fut éveillé par un bruit qui se fit entendre derrière sa tête. Se levant en sursaut, il se mit à regarder et à écouter d’où venait le bruit. Il aperçut deux hommes à cheval, et entendit que l’un d’eux, se laissant glisser de la selle, dit à l’autre : « Mets pied à terre, ami, et détache la bride aux chevaux ; ce lieu, à ce qu’il me semble, abonde aussi bien en herbe pour eux qu’en solitude et en silence pour mes amoureuses pensées. » Dire ce peu de mots et s’étendre par terre fut l’affaire du même instant ; et quand l’inconnu se coucha, il fit résonner les armes dont il était couvert. À ce signe manifeste, Don Quichotte reconnut que c’était un chevalier errant. S’approchant de Sancho, qui dormait encore, il le secoua par le bras, et, non sans peine, il lui fit ouvrir les yeux ; puis il lui dit à voix basse : « Sancho, mon frère, nous tenons une aventure. — Dieu nous l’envoie bonne ! répondit Sancho ; mais où est, seigneur, sa grâce madame l’aventure ? — Où, Sancho ? répliqua Don Quichotte ; tourne les yeux, et regarde par là ; tu y

    n’aurait pas été compris, et j’ai préféré y substituer une expression française qui offrît le même sens avec plus de clarté.

  1. Dans tout ce passage, Cervantès ne fait autre chose que copier Pline le naturaliste. Celui-ci, en effet, dit expressément que les hommes ont appris des grues la vigilance (lib. X, cap. 23), des fourmis la prévoyance (lib. XI, cap. 30), des éléphants la pudeur (lib. VIII, cap. 5), du cheval la loyauté (lib. VIII, cap. 40), du chien le vomissement (lib. XXIX. cap. 4), et la reconnaissance (lib. VIII, cap. 40). Seulement, l’invention que Cervantès donne à la cigogne, Pline l’attribue à l’ibis d’Égypte. Il dit encore que la saignée et bien d’autres remèdes nous ont été enseignés par les animaux. Sur la foi du naturaliste romain, on a long-temps répété ces billevesées dans les écoles.