Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1837, tome 2.djvu/270

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

teux, du moins elle ne vous atteindra pas sans honneur, tellement que la pauvreté même ne pourra en obscurcir l’éclat. D’ailleurs, on s’occupe à présent de soulager et de nourrir les soldats vieux et estropiés ; car il ne serait pas bien que l’on fît avec eux comme font ceux qui donnent la liberté à leurs nègres quand ils sont vieux et ne peuvent plus servir. En les chassant de la maison sous le titre d’affranchis, ils les font esclaves de la faim, dont la mort seule pourra les affranchir. Quant à présent, je ne veux rien vous dire de plus, sinon que vous montiez en croupe sur mon cheval jusqu’à l’hôtellerie ; vous y souperez avec moi, et demain matin vous continuerez votre voyage ; puisse Dieu vous le donner aussi bon que vos désirs le méritent ! »

Le page refusa l’invitation de la croupe, mais il accepta celle du souper à l’hôtellerie, et, dans ce moment, Sancho, dit-on, se dit à lui-même : « Diable soit de mon seigneur ! est-il possible qu’un homme qui sait dire tant et de si belles choses, comme celles qu’il vient de débiter, dise avoir vu les bêtises impossibles qu’il raconte de la caverne de Montésinos ? Allons, il faut en prendre son parti. » Ils arrivèrent bientôt après à l’hôtellerie, au moment où la nuit tombait, et non sans grande joie de Sancho, qui se réjouit de voir que son maître la prenait pour une hôtellerie véritable, et non pour un château, comme il en avait l’habitude.

À peine furent-ils entrés, que Don Quichotte s’informa, auprès de l’hôtelier, de l’homme aux lances et aux hallebardes. L’autre lui répondit qu’il était dans l’écurie à ranger son mulet. Le cousin et Sancho en firent autant de leurs ânes, laissant à Rossinante le haut bout et la meilleure mangeoire de l’écurie.