Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1837, tome 2.djvu/292

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sûr une grande étourderie. » Maître Pierre, entendant cela, cessa de sonner, et dit : « Que votre grâce, seigneur Don Quichotte, ne fasse point attention à ces enfantillages, et n’exige pas qu’on mène les choses si bien par le bout du fil, qu’on ne puisse le trouver. Est-ce qu’on ne représente point par ici mille comédies pleines de sottises et d’extravagances, qui fournissent pourtant une heureuse carrière, et sont écoutées avec applaudissements, avec admiration, avec transports ? Continue, petit garçon, et laisse dire ; pourvu que je remplisse ma poche, que m’importe de représenter plus de sottises que le soleil n’a d’atomes ! — Il a pardieu raison, répliqua Don Quichotte ; » et l’enfant continua : « Voyez maintenant quelle nombreuse et brillante cavalerie sort de la ville à la poursuite des deux catholiques amants. Voyez combien de trompettes sonnent, combien de dulzaïnas frappent l’air, combien de timbales et de tambours résonnent. J’ai grand’peur qu’on ne les rattrape, et qu’on ne les ramène attachés à la queue de leur propre cheval, ce qui serait un spectacle horrible. »

Quand Don Quichotte vit toute cette cohue de Mores, et entendit tout ce tapage de fanfares, il lui sembla qu’il ferait bien de prêter secours à ceux qui fuyaient. Il se leva tout debout, et s’écria d’une voix de tonnerre : « Je ne permettrai jamais que, de ma vie et en ma présence, on joue un mauvais tour à un aussi fameux chevalier, à un aussi hardi amoureux que Don Gaïferos. Arrêtez, canaille, gens de rien, ne le suivez ni le poursuivez, ou sinon je vous livre bataille. » Tout en parlant, il dégaina son épée, d’un saut s’approcha du théâtre, et avec une fureur inouïe, se mit à faire pleuvoir des coups d’estoc et de taille sur l’armée