Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1837, tome 2.djvu/306

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contraire, voyant qu’une grêle de pierres commençait à lui tomber sur les épaules, et qu’il était menacé par une infinité d’arbalètes tendues et d’arquebuses en joue, il fit tourner bride à Rossinante, et, à tout le galop que put prendre son cheval, il s’échappa d’entre les ennemis, priant Dieu du fond du cœur qu’il le tirât de ce péril, et craignant à chaque pas qu’une balle ne lui entrât par les épaules pour lui sortir par la poitrine. À tout moment il reprenait haleine, pour voir si le souffle ne lui manquait pas ; mais ceux du bataillon se contentèrent de le voir fuir sans lui tirer un seul coup.

Pour Sancho, ils le mirent sur son âne dès qu’il eut repris ses sens, et le laissèrent rejoindre son maître ; non pas que le pauvre écuyer fût en état de guider sa monture, mais parce que le grison suivit les traces de Rossinante, qu’il ne pouvait quitter d’un pas. Quand Don Quichotte se fut éloigné hors de portée, il tourna la tête, et, voyant que Sancho venait sans être suivi de personne, il l’attendit. Les gens du bataillon restèrent en position jusqu’à la nuit, et leurs ennemis n’ayant point accepté la bataille, ils revinrent à leur village joyeux et triomphants ; et même, s’ils eussent connu l’antique usage des Grecs, ils auraient élevé un trophée sur la place.