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CHAPITRE LXI.

De ce qui arriva à Don Quichotte à son entrée dans Barcelone, et d’autres choses qui ont plus de vérité que de sens commun.



Don Quichotte demeura trois jours et trois nuits avec Roque ; et, quand même il y fût resté trois cents ans, il n’aurait pas manqué de quoi regarder et de quoi s’étonner sur sa façon de vivre. On s’éveillait ici, on dînait là-bas ; quelquefois on fuyait sans savoir pourquoi, d’autres fois on attendait sans savoir qui. Ces hommes dormaient tout debout, interrompant leur sommeil, et changeant de place à toute heure. Ils ne s’occupaient qu’à poser des sentinelles, à écouter le cri des guides, à souffler les mèches des arquebuses, bien qu’ils en eussent peu, car presque tous portaient des mousquets à pierre. Roque passait les nuits éloigné des siens, dans des endroits où ils ne pouvaient deviner qu’il fût ; car les nombreux bans du vice-roi de Barcelone, qui mettaient sa tête à prix, le tenaient dans une perpétuelle inquiétude[1]. Il n’osait se fier à personne, pas même à ses gens, craignant d’être tué ou livré par eux à la justice : vie assurément pénible et misérable.

  1. C’est du mot bando, mandement à cri public, qu’est venu celui de bandolero, qui désignait un brigand dont la tête était mise à prix. Peut-être le nom de bandit vient-il aussi du mot ban.