Page:Cervantes - L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche, traduction Viardot, 1837, tome 2.djvu/669

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l’enfer même. Le dey apprit par ouï-dire que j’étais belle, et la renommée lui fit aussi connaître mes richesses, ce qui devint un bonheur pour moi. Il me fit comparaître devant lui, et me demanda dans quelle partie de l’Espagne j’étais née, quel argent et quels bijoux j’apportais. Je lui nommai mon pays, et j’ajoutai que l’argent et les bijoux y restaient enterrés, mais qu’on pourrait les recouvrer facilement si j’allais les chercher moi-même. Je lui disais tout cela, pour que son avarice l’aveuglât plutôt que ma beauté. Pendant cet entretien, on vint lui dire que j’étais accompagnée par un des plus beaux jeunes hommes qui se pût imaginer. Je reconnus aussitôt qu’on parlait de Don Gaspar Grégorio, dont la beauté surpasse en effet celles que l’on vante le plus. Je me troublai, en considérant le péril que courait Don Grégorio ; car, parmi ces barbares infidèles, on estime plus un garçon jeune et beau qu’une femme, quelque belle qu’elle soit. Le dey donna l’ordre qu’on l’amenât sur-le-champ devant lui, et me demanda si ce qu’on disait de ce jeune homme était la vérité. Alors, moi, comme si le ciel m’eût inspirée, je lui répondis sans hésiter : « Oui, cela est vrai ; mais je dois vous faire savoir que ce n’est point un garçon : c’est une femme comme moi. Permettez, je vous en supplie, que j’aille l’habiller dans son costume naturel, pour qu’elle montre complètement