Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/106

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Et que sans doute ailleurs elle est mieux occupée !
Mais dieux, puisses-tu voir, sous un ennui rongeur,
De ta chère beauté flétrir toute la fleur,
Plutôt que d’être heureuse à grossir tes conquêtes ;
D’aller chercher toi-même et désirer des fêtes,
Ou sourire le soir, assise au coin d’un bois,
Aux éloges rusés d’une flatteuse voix,
Comme font trop souvent de jeunes infidèles,
Sans songer que le Ciel n’épargne point les belles.
Invisible, inconnu, dieux ! pourquoi n’ai-je pas
Sous un voile étranger accompagné tes pas
J’ai pu de ton esclave, ardent, épris de zèle,
Porter, comme le cœur, le vêtement fidèle.
Quoi ! d’autres loin de moi te prodiguent leurs soins,
Devinent tes pensers, tes ordres, tes besoins !
Et quand d’âpres cailloux la pénible rudesse
De tes pieds délicats offense la faiblesse,
Mes bras ne sont point là pour presser lentement
Ce fardeau cher et doux et fait pour un amant !
Ah ! ce n’est pas aimer que prendre sur soi-même
De pouvoir vivre ainsi loin de l’objet qu’on aime.
Il fut un temps, Camille, où plutôt qu’à me fuir
Tout le pouvoir des dieux t’eût contrainte, à mourir !

Et puis d’un ton charmant ta lettre me demande
Ce que je veux de toi, ce que je te commande.
Ce que je veux ? dis-tu. Je veux que ton retour
Te paraisse bien lent ; je veux que nuit et jour
Tu m’aimes. (Nuit et jour, hélas ! je me tourmente.)
Présente au milieu d’eux, sois seule, sois absente ;