De doux ravissemens venaient saisir mon ame.
Des voyageurs lointains auditeur empressé,
Sur nos tableaux savans où le monde est tracé,
Je courais avec eux du couchant à l’aurore.
Fertile en songes vains que je chéris encore
J’allais partout, partout bientôt accoutumé ;
Aimant tous les humains, de tout le monde aimé.
Les pilotes bretons me portaient à Surate,
Les marchands de Damas me guidaient vers l’Euphrate.
Que dis-je ? dès ce temps mon cœur, mon jeune cœur
Commençait dans l’amour à sentir un vainqueur ;
Il se troublait dès-lors au souris d’une belle.
Qu’à sa pente première il est resté fidèle !
C’est là, c’est en aimant, que pour louer ton choix
Les muses d’elles-même adouciront ta voix.
Du sein de notre amie, ô combien notre lyre
Abonde à publier sa beauté, son empire,
Ses grâces, son amour de tant d’amour payé !
Mais quoi ! pour être heureux faut-il être envié ?
Quand même auprès de toi les yeux de ta maîtresse
N’attireraient jamais les ondes du Permesse,
Qu’importe ? Penses-tu qu’il ait perdu ses jours
Celui qui se livrant à ses chères amours,
Recueilli dans sa joie, eut pour toute science
De jouir en secret ? fut heureux en silence ?
Qu’il est doux, au retour de la froide saison,
Jusqu’au printemps nouveau regagnant la maison,
De la voir devant vous accourir au passage ;
Ses cheveux en désordre épars sur son visage :
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