Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Verser sur le papier mon cœur et mes tendresses.
Ô Camille, tu dors ! tes doux yeux sont fermés.
Ton haleine de rose aux soupirs embaumés
Entr’ouvre mollement tes deux lèvres vermeilles.
Mais, si je me trompais ! dieux ! ô dieux ! si tu veilles !
Et lorsque loin de toi j’endure le tourment
D’une insomnie amère, aux bras d’un autre amant,
Pour toi, de cette nuit qui s’échappe trop vite,
Une douce insomnie embellissait la fuite !

Dieu d’oubli, viens fermer mes yeux. Ô dieu de paix !
Sommeil, viens ; fallût-il les fermer pour jamais.
Un autre dans ses bras ! ô douloureux outrage !
Un autre ! Ô honte ! ô mort ! ô désespoir ! ô rage !
Malheureux insensé ! pourquoi, pourquoi les dieux
À juger la beauté formèrent-ils mes yeux ?
Pourquoi cette ame faible et si molle aux blessures
De ces regards féconds en douces impostures ?
Une amante moins belle aime mieux, et du moins
Humble et timide à plaire, elle est pleine de soins ;
Elle est tendre ; elle a peur de pleurer votre absence.
Fidèle, peu d’amans attaquent sa constance ;
Et son égale humeur, sa facile gaîté,
L’habitude, à son front tiennent lieu de beauté.
Mais celle qui partout fait conquête nouvelle,
Celle qu’on ne voit point sans dire : Qu’elle est belle !
Insulte, en son triomphe, aux soupirs de l’amour.
Souveraine au milieu d’une tremblante cour,
Dans son léger caprice, inégale et soudaine,
Tendre et douce aujourd’hui, demain froide et hautaine.