Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/163

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Unira, dites-vous, les sons de la guitare ?
Et nous aurons Julie, au rire étincelant,
Au sein plus que l’albâtre et solide et brillant ?
Certe, en pareille fête autrefois je l’ai vue,
Ses longs cheveux épars, courante, demi-nue :
En ses bruyantes nuits Cythe’ron n’a jamais
Vu Ménade plus belle errer dans ses forêts.
J’y consens. Avec vous je suis prêt à m’y rendre.
Allons. Mais si Camille, ô dieux ! vient à l’apprendre ?
Quel orage suivra ce banquet tant vanté,
S’il faut qu’à son oreille un mot en soit porté !
Oh ! vous ne savez pas jusqu’où va son empire.
Si j’ai loué des yeux, une bouche, un sourire ;
Ou si, près d’une belle assis en un repas,
Nos lèvres en riant ont murmuré tout bas,
Elle a tout vu. Bientôt cris, reproches, injure :
Un mot, un geste, un rien, tout était un parjure.
« Chacun pour cette belle avait vu mes égards.
» Je lui parlais des yeux ; je cherchais ses regards. »
Et puis des pleurs ! des pleurs… que Memnon sur sa cendre
À sa mère immortelle en a moins fait répandre.
Que dis-je ? sa vengeance ose en venir aux coups ;
Elle me frappe. Et moi, je feins dans mon courroux
De la frapper aussi, mais d’une main légère ;
Et je baise sa main impuissante et colère :
Car ses bras ne sont forts qu’aux amoureux exploits.
La fureur ne peut même aigrir sa douce voix.
Ah ! je l’aime bien mieux injuste qu’indolente.
Sa colère me plaît et décèle une amante.
Si j’ai peur de la perdre, elle tremble à son tour ;