Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/264

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Vois le superbe Anglais, l’Anglais dont le courage
Ne s’est soumis qu’aux lois d’un sénat libre et sage,
Qui t’épie, et, dans l’Inde éclipsant ta splendeur,
Sur tes fautes sans nombre élève sa grandeur.
Il triomphe, il t’insulte. Ô combien tes collines
Tressailleraient de voir réparer tes ruines,
Et pour la liberté donneraient sans regrets
Et leur vin et leur huile et leurs belles forêts !
J’ai vu dans tes hameaux la plaintive misère,
La mendicité blême et la douleur amère.
Je t’ai vu dans tes biens, indigent laboureur,
D’un fisc avare et dur maudissant la rigueur,
Versant aux pieds des grands des larmes inutiles,
Tout trempé de sueurs pour toi-même infertiles,
Découragé de vivre, et plein d’un juste effroi
De mettre au jour des fils malheureux comme toi ;
Tu vois sous les soldats les villes gémissantes ;
Corvée, impôts rongeurs, tributs, taxes pesantes,
Le sel, fils de la terre, ou même l’eau des mers,
Source d’oppressions et de fléaux divers :
Vingt brigands revêtus du nom sacré de prince,
S’unir à déchirer une triste province,
Et courir, à l’envi, de son sang altérés,
Se partager entre eux ses membres déchirés.
Ô sainte égalité ! dissipe nos ténèbres,
Renverse les verroux, les bastilles funèbres.
Le riche indifférent, dans un char promené,
De ces gouffres secrets partout environné,
Rit avec les bourreaux, s’il n’est bourreau lui-même ;
Près de ces noirs réduits de la misère extrême,