Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/35

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C’est des Hébreux errans le chef, le défenseur :
Dieu tout entier habite en ce marbre penseur.
Ciel ! n’entendez-vous pas de sa bouche profonde
Éclater cette voix créatrice du monde.
Ô qu’ainsi parmi nous des esprits inventeurs
De Virgile et d’Homère atteignent les hauteurs !
Sachent dans la mémoire avoir comme eux un temple,
Et sans suivre leurs pas imiter leur exemple ;
Faire, en s’éloignant d’eux, avec un soin jaloux,
Ce qu’eux-même ils feraient s’ils vivaient parmi nous !
Que la nature seule, en ses vastes miracles,
Soit leur fable et leurs dieux, et ses lois leurs oracles ;
Que leurs vers, de Thétis respectant le sommeil,
N’aillent plus dans ses flots rallumer le soleil ;
De la cour d’Apollon que l’erreur soit bannie,
Et qu’enfin Calliope, élève d’Uranie,
Montant sa lyre d’or sur un plus noble ton,
En langage des dieux fasse parler Newton !
Oh ! si je puis, un jour !… Mais, quel est ce murmure,
Quelle nouvelle attaque et plus forte et plus dure ?
Ô langue des Français ! est-il vrai que ton sort
Est de ramper toujours et que toi seule as tort ?
Ou si d’un faible esprit l’indolente paresse
Veut rejeter sur toi sa honte et sa faiblesse ?
Il n’est sot traducteur de sa richesse enflé,
Sot auteur d’un poème, ou d’un discours sifflé,
Ou d’un recueil ombré de chansons à la glace,
Qui ne vous avertisse, en sa fière préface’,
Que si son style épais vous fatigue d’abord,
Si sa prose vous pèse et bientôt vous endort ;