Aller au contenu

Page:Chénier - Œuvres complètes, éd. Latouche, 1819.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée



Se trouble, et tend déjà les mains à la prière.
« Ne crains point, disent-ils, malheureux étranger ;
» (Si plutôt sous un corps terrestre et passager
» Tu n’es point quelque dieu protecteur de la Grèce,
» Tant une grâce auguste ennoblit ta vieillesse !)
» Si tu n’es qu’un mortel, vieillard infortuné,
» Les humains près de qui les flots t’ont amené,
» Aux mortels malheureux n’apportent point d’injures.
» Les destins n’ont jamais de faveurs qui soient pures.
» Ta voix noble et touchante est un bienfait des dieux ;
» Mais aux clartés du jour ils ont fermé tes yeux.

» — Enfans, car votre voix est enfantine et tendre,
» vos discours sont prudens, plus qu’on n’eût dû l’attendre ;
» Mais toujours soupçonneux, l’indigent étranger
» Croit qu’on rit de ses maux et qu’on veut l’outrager.
» Ne me comparez point à la troupe immortelle :
» Ces rides, ces cheveux, cette nuit éternelle,
» Voyez ; est-ce le front d’un habitant des cieux ?
» Je ne suis qu’un mortel, un des plus malheureux
» Si vous en savez un pauvre, errant, misérable,
» C’est à celui-là seul que je suis comparable ;
» Et pourtant je n’ai point, comme fit Thomyris,
» Des chansons à Phœbus voulu ravir le prix ;
» Ni, livré comme Œdipe à la noire Euménide,
» Je n’ai puni sur moi l’inceste parricide ;
» Mais les dieux tout-puissans gardaient à mon déclin
» Les ténèbres, l’exil, l’indigence et la faim.

» Prends ; et puisse bientôt changer ta destinée,
» Disent-ils. » Et tirant ce que, pour leur journée,