Page:Chénier - Œuvres en prose éd. Moland, 1879.djvu/91

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un puérile attachement à des distinctions aussi frivoles qu’injustes, pourraient faire inventer ou adopter avidement ces projets insensés et coupables, et qui peut-être se repaissent au loin de la folle espérance d’être les Coriolans de leur patrie. Mais la nature humaine ne produit qu’un très-petit nombre de ces esprits inflexibles et turbulents sans relâche, que même le ressentiment d’une injure puisse égarer en des excès à la fois aussi violents et aussi durables. La plupart des hommes, capables peut-être d’un coup désespéré dans la première fureur d’une passion irritée, finissent par se calmer d’eux-mêmes, et sont bientôt fatigués de la seule idée de ces vengeances laborieuses et réfléchies. Aussi la plupart de nos mécontents, soit sédentaires et secrets, soit fugitifs et connus, désirent probablement, plus qu’on ne le croit, plus peut-être qu’ils ne le croient eux-mêmes, de vivre sans inquiétude dans leur patrie, heureuse et tranquille, et de rentrer dans leurs foyers. Un esprit borné, une éducation erronée, une vanité pusillanime et ridicule, des pertes réelles dans leur fortune, des notions fausses et factices de ce qui est grand et noble, des dangers que plusieurs d’entre eux ont courus, tout cela les attache, les affectionne à leurs antiques chimères ; plusieurs les croient, de très-bonne foi, nécessaires à la félicité humaine ; et comparant le calme de l’ancien esclavage avec les troubles et les malheurs qui sont arrivés, et dont quelques-uns sont inséparables du moment où un grand peuple s’affranchit, en concluent que les meurtres et les incendies sont de l’essence de la liberté,