Page:Chénier - Œuvres en prose éd. Moland, 1879.djvu/97

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il finit peut-être par démêler quels intérêts les animent, et il les déclare ennemis publics, s’il est vrai qu’ils prêchent une doctrine propre à égarer, reculer, détériorer l’esprit public. Qu’est-ce qu’un bon esprit public dans un pays libre ? N’est-ce pas une certaine raison générale, une certaine sagesse pratique et comme de routine, à peu près également départie entre tous les citoyens, et toujours d’accord et de niveau avec toutes les institutions publiques ; et par laquelle chaque citoyen connaît bien ce qui lui appartient, et par conséquent ce qui appartient aux autres ; chaque citoyen connaît bien ce qui est dû à la société entière, et s’y prête de tout son pouvoir ; chaque citoyen se respecte dans autrui, et ses droits dans ceux d’autrui ; chaque citoyen, quoiqu’il étende ses prétentions aussi loin qu’il peut, ne dispute jamais contre la loi, et s’arrête devant elle machinalement et comme sans le vouloir ? Et quand la société dure depuis assez longtemps pour que tout cela soit dans tous une habitude innée ; et soit devenu une sorte de religion, je dirais presque de superstition ; certes, alors un pays a le meilleur esprit public qu’il puisse avoir. Je sais qu’il y aurait de là démence à vouloir qu’après une seule année d’affranchissement, Cela fût déjà ainsi parmi nous. Je sais qu’on n’y arrive que lentement ; et je ne suis pas de ceux qui crient que tout est perdu, lorsque tout n’est pas fait en un jour. Mais encore est-il tel degré de lenteur qui permet de craindre qu’on n’arrive pas, et qu’on ne meure en chemin ; et l’on peut au moins juger des progrès, lorsqu’il y a eu une grande quantité d’actions successives,