Page:Chénier - Œuvres inédites, éd. Lefranc, 1914.djvu/158

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
110
ANDRÉ CHÉNIER

chaque page : X ai éprouvé cela… S avais pensé cela mille fois… ou bien : Ohl que cela est vrai ! J’aurais dû le trouver ! Il y a des sentiments si purs, si simples, des pensées si éternelles, si humaines, si nôtres, si profondément innées dans l’âme, que les âmes de tous les lecteurs les reconnaissent à l’instant ; elles se réunissent à celle de l’auteur, elles semblent se reconnaître toutes et se souvenir qu’elles ont une origine commune.

f° 125. ω

(Le poète homme d’esprit mais sans génie, et sans cette vraie philosophie fondée sur la connaissance du cœur humain : )

… Il est accablé sous le poids du beau sujet qu’il a choisi ; il se perd dans la foule des caractères qu’il a inventés ou qu’il trouve dans l’histoire ; il ne peut plus s’entendre à travers le bruit qu’ils font autour de lui ; il ne reconnaît plus personne ; il ne peut plus les suivre ni les guider ; il les perd de vue à chaque pas ; il les laisse arriver comme ils pourront ; il oublie ce qu’il doit leur faire dire ; il les laisse muets pour parler et déclamer lui-même, pour s’égarer dans des amplifications vagues et inutiles…

(Au lieu que l’autre : )

Il a un regard sûr et vaste ; tout est lumineux et clair autour de lui ; il dispose sa matière à volonté ; il choisit ses campements ; il arrange son armée, la réunit, la divise, la ralentit, l’accélère à son gré :