Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/254

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Où Sennar épaissit ses immenses feuillages[1],
Des vers pleins de ton nom attendent ton retour,
Tout trempés de douceurs, de caresses, d’amour.
Heureux qui, tourmenté de flammes inquiètes,
Peut du Permesse encor visiter les retraites ;
Et loin de son amante, égayant sa langueur,
Calmer par des chansons les troubles de son cœur !
Camille, où tu n’es point, moi je n’ai pas de muse.
Sans toi, dans ses bosquets Hélicon me refuse ;
Les cordes de la lyre ont oublié mes doigts,
Et les chœurs d’Apollon méconnaissent ma voix.
Ces regards purs et doux, que sur ce coin du monde
Verse d’un ciel ami l’indulgence féconde,
N’éveillent plus mes sens ni mon âme. Ces bords
Ont beau de leur Cybèle étaler les trésors ;
Ces ombrages n’ont plus d’aimables rêveries,
Et l’ennui taciturne habite ces prairies.
Tu fis tous leurs attraits : ils fuyaient avec toi
Sur le rapide char qui t’éloignait de moi.
Errant et fugitif je demande Camille
À ces antres, souvent notre commun asile ;
Ou je vais te cherchant dans ces murs attristés,
Sous tes lambris, jamais par moi seul habités,
Où ta harpe se tait, où la voûte sonore
Fut pleine de ta voix et la répète encore ;
Où tous ces souvenirs cruels et précieux
D’un humide nuage obscurcissent mes yeux.
Mais pleurer est amer pour une belle absente[2] ;

  1. La terre de Bonneuil était située près de la forêt de Sénart.
  2. Verser des pleurs pour une belle absente est amer.