Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/257

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Ingrat ! ô de l’amour trop coupable folie !
Souvent je les outrage et fuis et les oublie ;
Et sitôt que mon cœur est en proie au chagrin,
Je les vois revenir le front doux et serein.
J’étais seul, je mourais. Seul, Lycoris absente
De soupçons inquiets m’agite et me tourmente.
Je vois tous ses appas et je vois mes dangers ;
Ah ! je la vois livrée à des bras étrangers.
Elles viennent ! leurs voix, leur aspect me rassure :
Leur chant mélodieux assoupit ma blessure ;
Je me fuis, je m’oublie, et mes esprits distraits
Se plaisent à les suivre et retrouvent la paix.
Par vous, Muses, par vous, franchissant les collines,
Soit que j’aime l’aspect des campagnes sabines,
Soit Catile ou Falerne et leurs riches coteaux,
Ou l’air de Blandusie et l’azur de ses eaux :
Par vous de l’Anio j’admire le rivage,
Par vous de Tivoli le poétique ombrage,
Et de Bacchus, assis sous des antres profonds,
La nymphe et le satyre écoutant les chansons.
Par vous la rêverie errante, vagabonde,
Livre à vos favoris la nature et le monde ;
Par vous mon âme, au gré de ses illusions,
Vole et franchit les temps, les mers, les nations,
Va vivre en d’autres corps, s’égare, se promène,
Est tout ce qu’il lui plaît, car tout est son domaine.

Ainsi, bruyante abeille, au retour du matin,
Je vais changer en miel les délices du thym.
Rose, un sein palpitant est ma tombe divine.
Frêle atome d’oiseau, de leur molle étamine