Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/265

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Inspirent à vos fils, qui ne m’ont point connu,
L’ennui de naître à peine et de m’avoir perdu.
Qu’à votre belle vie ainsi ma mort obtienne
Tout l’âge, tous les biens dérobés à la mienne ;
Que jamais les douleurs, par de cruels combats,
N’allument dans vos flancs un pénible trépas ;
Que la joie en vos cœurs ignore les alarmes ;
Que les peines d’autrui causent seules vos larmes,
Que vos heureux destins, les délices du ciel,
Coulent toujours trempés d’ambrosie et de miel,
Et non sans quelque amour paisible et mutuelle.
Et quand la mort viendra, qu’une amante fidèle,
Près de vous désolée, en accusant les dieux,
Pleure, et veuille vous suivre, et vous ferme les yeux.


VIII[1]


Pourquoi de mes loisirs accuser la langueur ?
Pourquoi vers des lauriers aiguillonner mon cœur
Abel, que me veux-tu ? je suis heureux, tranquille.
Tu veux m’ôter mon bien, mon amour, ma Camille,
Mes rêves nonchalants, l’oisiveté, la paix,
À l’ombre, au bord des eaux, le sommeil pur et frais.
Ai-je connu jamais ces noms brillants de gloire
Sur qui tu viens sans cesse arrêter ma mémoire ?
pourquoi me rappeler, dans tes cris assidus,
Je ne sais quels projets que je ne connais plus ?
Que d’Achille outragé, l’inexorable absence,

  1. Édition 1819.