Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Non : il fallait d’abord m’accueillir sans détours.
Non, non : je n’irai point. La nuit tombe ; j’accours.
On s’excuse, on gémit ; enfin on me renvoie,
Je sors. Chez mes amis je viens trouver la joie,
Et parmi nos festins un billet repentant
Bientôt me suit et vient me dire qu’on m’attend.

« Écoute, jeune ami de ma première enfance,
Je te connais. Malgré ton aimable silence,
Je connais la beauté qui t’a contraint d’aimer,
Qui t’agite tout bas, que tu n’oses nommer.
Certe un beau jour n’est pas plus beau que son visage.
Mais, si tu ne veux point gémir dans l’esclavage,
Sache que trop d’amour excite leur dédain.
Laisse-la quelquefois te désirer en vain.
Il est bon, quelque orgueil dont s’enivrent ces belles,
De leur montrer pourtant qu’on peut se passer d’elles.
Viens, et loin d’être faible, allons, si tu m’en crois,
Respirer la fraîcheur de la nuit et des bois ;
Car dans cette saison de chaleurs étouffée,
Tu sais, le jour n’est bon qu’à donner à Morphée.
Allons. Et pour Camille elle n’a qu’à dormir. »
Passons devant ses murs. Je veux, pour la punir,
Je veux qu’à son réveil demain on lui rapporte
Qu’on m’a vu. Je passais sans regarder sa porte.
Qu’elle s’écrie alors, les larmes dans les yeux,
Que tout homme est parjure et qu’il n’est point de dieux !
Tiens. C’est ici. Voilà ses jardins solitaires
Tant de fois attentifs à nos tendres mystères ;
Et là, tiens, sur ma tête est son lit amoureux,
Lit chéri, tant de fois fatigué de nos jeux.