Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/350

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XLVIII[1]


 
Partons, la voile est prête, et Byzance m’appelle.
Je suis vaincu, je fuis au joug d’une cruelle,
Le temps, les longues mers peuvent seuls m’arracher.
Ses traits que malgré moi je vais toujours chercher ;
Son image partout à mes yeux répandue,
Et les lieux qu’elle habite et ceux ou je l’ai vue,
Son nom qui me poursuit, tout offre à tout moment
Au feu qui me consume un funeste aliment…
Ma chère liberté, mon unique héritage,
Trésor qu’on méconnaît tant qu’on en a l’usage,
Si doux à perdre, hélas ! et sitôt regretté,
M’attends-tu sur ces bords, ma chère liberté !


XLIX[2]


Eh ! le pourrai-je au moins ! suis-je assez intrépide ?
Et toute belle enfin serait-elle perfide ?
Moi, tendre, même faible, et dans l’âge d’aimer,
Faut-il n’oser plus voir tout ce qui peut charmer !
Quand chacun à l’envi jouit, aime, soupire,
Faut-il donc de Vénus abjurer seul l’empire !
Ne plus dire : Je t’aime ! et dormir tout le jour,
Sans avoir pour adieux quelque baiser d’amour !
Et lorsque les désirs, les songes, ou l’aurore,
Troubleront mon sommeil, me réveiller encore,

  1. Édtion 1819.
  2. Édtion 1833.