Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 1.djvu/367

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Il vole se poser, loin des cris de douleurs,
Sur des yeux que jamais n’ont altérés les pleurs.
Perfide ; mais pourtant chère quoique perfide.

Et ton cœur m’aimera, si ton cœur peut aimer.

..........tu verras ses rigueurs
Se fondre et s’amollir à tes douces langueurs.


LXVIII[1]


Ainsi le jeune amant, seul, loin de ses délices,
S’assied sous un mélèze au bord des précipices,
Et là, revoit la lettre où, dans un doux ennui,
Sa belle amante pleure et ne vit que pour lui.
Il savoure à loisir ces lignes qu’il dévore ;
Il les lit, les relit et les relit encore,
Baise la feuille aimée et la porte à son cœur.
Tout à coup de ses doigts l’aquilon ravisseur
Vient, l’emporte et s’enfuit. Dieux ! il se lève, il crie,
Il voit, par le vallon, par l’air, par la prairie,
Fuir avec ce papier, cher soutien de ses jours,
Son âme et tout lui-même et toutes ses amours.
Il tremble de douleur, de crainte, de colère.
Dans ses yeux égarés roule une larme amère.
Il se jette en aveugle, à le suivre empressé,
Court, saute, vole, et l’œil sur lui toujours fixé,
Franchit torrents, buissons, rochers, pendantes cimes,
Et l’atteint, hors d’haleine, à travers les abîmes.

  1. Éd. G. de Chénier.