Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/146

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De son trépas au moins soit encore informée[1].
Malheureux ! un rocher inconnu sous les eaux
A-t-il, brisant les flancs de tes hardis vaisseaux,
Dispersé ta dépouille au sein du gouffre immense ?
Ou, le nombre et la fraude opprimant ta vaillance,
Nu, captif, désarmé, du sauvage inhumain
As-tu vu s’apprêter l’exécrable festin ?
Ou plutôt dans une île, assis sur le rivage,
Attends-tu ton ami voguant de plage en plage ;
Ton ami qui partout, jusqu’aux bornes des mers
Où d’éternelles nuits et d’éternels hivers
Font plier notre globe entre deux monts de glace,
Aux flots de l’Océan court demander ta trace ?
Malheureux ! tes amis, souvent dans leurs banquets,
Disent en soupirant : « Reviendra-t-il jamais ? »
Ta femme à son espoir, à ses vœux enchaînée,
Doutant de son veuvage ou de son hyménée,
N’entend, ne voit que toi dans ses chastes douleurs,
Se reproche un sourire, et, tout entière aux pleurs,
Cherche en son lit désert, peuplé de ton image,
Un pénible sommeil que trouble ton naufrage.


Dans un ouvrage de si longue haleine, on peut hasarder beaucoup de hardiesses nouvelles. Il faut essayer d’employer le mot hiver dans le sens de tempête, — comme chez les anciens Hyems, Χειμών : de cette manière par exemple :


Quand les vents et la grêle et l’orageux hiver
Soudain couvrent le ciel et soulèvent la mer.

  1. On eut des nouvelles de La Peyrouse en 1788. Ce morceau serait donc de la fin de 1793 ou du commencement de 1794.