Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/159

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Il marche d’un côté, il y trouve Cortès. Il se retourne et va de l’autre où il compte sur peu de résistance, il y trouve Cortès étincelant, terrible, Cortès qui l’avait aperçu d’abord et qui l’avait suivi pour le combattre, etc…


Je voudrais peindre quelque part un homme (peut-être un jésuite du Paraguay) qui, pour émouvoir les peuples grossiers, emploie quelqu’un de ces signes extérieurs à l’antique, comme le vase brisé par Jérémie, dont plusieurs se moquent et ont tort de se moquer[1].

L’éloquent jésuite qui, en imitant Pythagore dans Ovide[2], convertira les anthropophages du Brésil, emploiera des mouvements d’une éloquence primitive et sauvage, comme, par exemple, d’évoquer, dans une bouillante apostrophe, les âmes des malheureux qui ont péri dans ces horribles festins, de les peindre demandant vengeance devant Dieu…

Il faudra qu’un missionnaire, réunissant des sauvages en société, traduise l’hymne de Milton au mariage, très-déplacé dans sa bouche, mais plein de beautés. C’est après le divin morceau d’Éden et des amours de nos premiers parents. À ces mots : hait wedded love… Book IV, v. 750. Il ne faudra pas cependant en imiter cet endroit où il dit que c’est là que règne l’amour et non dans les sourires des p………, jouissance casuelle, ni dans les amours de cour, les mascarades, le bal de minuit, les danses mêlées, les sérénades que les amants chantent à leur orgueilleuse belle, etc…

Un vieillard dira :

… Affreux bienfait du ciel que de survivre à tous ceux que l’on aime !… Mes parents m’ont abandonné, mes amis m’ont abandonné, tous m’ont abandonné. Je suis resté

  1. Jérém., cg. xix, v 1, 10 et 99.
  2. Métamorph., liv. XV, v. 167 et suiv.