Page:Chénier - Œuvres poétiques, édition Moland, 1889, volume 2.djvu/189

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Distillant au hasard le miel ou le poison.
Leur vie est un amas d’amitiés incertaines,
De riens sonnés bien haut, de scandaleuses haines.
Ils les prêchent au monde, ils en parlent aux rois.
Pour eux la renommée a trop peu de cent voix.
De leurs moindres pensers, qu’ils aiment, qu’ils haïssent.
Il faut que les marchés, que les toits retentissent.
Vains amis d’un moment, ennemis imprévus ;
Sages en cela seul que, d’eux-mêmes connus,
De leur propre suffrage ils ne tiennent nul compte.
D’affronts capricieux ils accablent sans houle
Ceux même qu’autrefois d’éloges ampoulés
Sans honte et sans scrupule ils avaient accablés.


Admirer le premier, et sur l’autre, en silence,
Fermer l’œil de la sage et bénigne indulgence.
En effet, plat orgueil, folle prétention.
Puériles détours de leur ambition
Que l’éloge d’un autre assassiné et déchire.
Leur mérite se plaît et se choie et s’admire.
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Du seul nom de rival leur gloire est alarmée.
Tout succès est un vol fait à leur renommée.
Envieux et jaloux même dans l’avenir,
Des beaux-arts, pour eux seuls, la route a dû s’ouvrir.
Tout ce qu’ils n’ont point fait, ce qu’un autre peut faire,
Ce que des jours humains la rapide carrière
Ne leur a point permis eux-mêmes de tenter,
Ils s’indignent qu’un autre ose l’exécuter.